V.V.Bychkov

SUPRÉMATISME

(Apopahtique esthétique dans l’art).

[ KornewiSHCHe. A Book of Non-Classical Aesthetics. - Moscow, IF RAN, 1998.  Pp. 233-247 ]

         Suprématisme (du lat. supremus - le plus haut, suprême; premier; dernier; via le polonais supremacja - superiorité, suprémacie) - courant de l’art avant-gardiste du premier tiers du XX siècle dont Casimir Malevitch (1878-1935), peintre russe, fut créateur, représentant principal et théoricien.

         Malevitch est né dans une famille polonaise à Kiev, il parlait polonais, ikraïnien et russe; en 1904 est pour la première fois venu à Moscou et depuis a pratiquement en permanence résidé à Moscou ou à Pétersbourg (Léningrad). Depuis 1904-1905 s’est mis à s’occuper sérieusement, indépendamment (en tant qu’ “autodidacte”, comme il écrivait dans tous les questionnaires) de la peinture, ayant assimilé et éprouvé avant 1913 pratiquement toutes les étapes principales du développement de l’art avant-gardiste; impressionnisme, post-impressionnisme, moderne, symbolisme, art naïf, fauvisme, cézannisme, cubisme, futurisme et cubofuturisme. En 1913 en est venu à l’absolutisation du principe d’alogisme et d’absurdité en peinture dans le soi-disant “réalisme hermétique” qui a servi de passage à la création des oeuvres suprématistes proprement dites. C’est à la “Dernière exposition futuriste des tableaux 0,10” en décembre 1915 qu’il les présenta pour la première fois à l’opinion publique, non sans résistance des participants de l’exposition  1] . C’est à la même époque qu’ont paru le terme suprématisme et la première brochure-manifeste théorique de Malevitch témoignant de la tentative d’argumenter le nouveau mouvement - “Du cubisme au suprématisme. Nouveau réalisme pictural”. Comme Malevitch l’écrivait lui-même, le suprématisme a passé les stades principaux de son développement de 1913 à 1918. Mais il a peint des tableaux proprement suprématistes au moins jusqu’au milieu des années 20, et les “sensations” siprématistes de l’être dans l’art ont beaucoup influé sur toutes ses créations ultérieures.

         Malevitch a écrit nombreux ouvrages théoriques, surtout depuis 1919 (à Vitebsk), quant il a commencé son travail pédagogique systématique, et plus tard - à Moscou et à Pétrograd (jusqu’à 1927). Il y a exposé d’une manière assez détaillée sa position esthétique en général, sa conception de l’art (ou, comme il l’écrivait toujours, de l’Art - en majuscule), de la peinture, de l’histoire de l’art et en particulier de son étape suprême (supremus!), d’après lui, - le suprématisme  2]. Au long de l’activité tumultueuse artistique, pédagogique et scientifique de Malevitch et sous l’influence des circonstances extérieures non moins tumultueuses de l’époque certaines de ses idées et options se sont transformées assez considérablement, des fois en diamètralement opposées, mais la ligne générale de sa conception de l’art est restée assez intégrale et synonime.

         Elle peut être identifiée brièvement et conventionnellement comme ligne d’esthétisme pur, d’apologie de l’Art non-utilitaire indépendant de tout aspect social, politique, économique ou religieux, possédant son sujet auto-valorisé - beauté et harmonie, et son but - délectation esthétique (état “émotionnel agréable”, “satisfaction agréable des sens”: Téoria. P.275, 279, 280, 290 et passim). Ligne d’esthétisme classique, qui a pris chez Malevitch un tournant inattendu et l’a mené à la théorie de la peinture économe-minimaliste non-fugurative déniant en fin des  comptes la peinture comme telle dans son être traditionnel et passant dans une “dimension” transcendante spécifique s’ouvrant au-delà du “zéro” absolu.

         En étudiant l’esthétique de Malevitch il faut tenir compte de sa position idéologique, de sa vision du monde extrêmement éclectique. Comme il l’écrivit lui-même, il n’a nulle part, jamais, rien appris systématiquement. Pourtant en homme énergique, volontaire, possédant un potentiel créateur puissant et un fin flair artistique, il était attiré par tout ce qui emplissait l’atmosphère spirituelle de Moscou et de Pétersbourg du premier tiers du siècle. Et elle était vraiment surchargée de tout ce que la culture spirituelle de l’époque a atteint (dans toutes les sphères - philosophie, recherches religieuses, science, art etc.). Tout ce dont vivait les intellectuels de cette époque dans le monde civilisé entier était traduit en russe, lu et discuté dans des salons et cercles innombrables. C’est pourquoi une personne aspirant aux connaissances mais ne possédant pas de ligne conceptuelle précise qui dirige ses recherches dans la culture spirituelle, avait une mosaïque multicolore dans la tête. Tel était le contenu scientifique-philosophique-religieux-idéologique de la tête de Malevitch, à en juger par ses ouvrages théoriques (en plus il n’était point préoccupé par la grammaire et la stylistique de la langue russe, ce qui renforce l’impression de l’éclectisme). Sa “philosophie” - c’est un mélange éclatant et émotionnel de certaines idées scientifiques matérialistes vulgaires, d’une historiosophie primitive, d’une étymologie originale mais pseudo-scientifique, des bribes des idées de Schopenhauer, Nietzsche, de la philosophie antique et bouddhiste, des jugements théosophes contemporains, des options cabbalistiques, du christianisme primitivisé, des idées de E.Mach, R.Avenarius, P.D.Ouspensky, M.O.Guerchenzon, des cosmistes russes etc.  3]  Les premières années post-révolutionnaires s’y sont ajoutés certains slogans et visions de la phraséologie sociologisante-bolchévik, et dans les manifestes - des appels audacieux d’un nihilisme épatant. L’éclectisme conceptuel de Malevitch dans son ensemble est prédécesseur frappant de l’éclectisme de principe de la POST-culture, qui s’est témoigné de façon active dans la deuxième moitié de notre siècle mouvementé. Ce même éclectisme et inconséquence se font voir, quoique moins, dans ses jugements esthétiques-artistiques.

         D’après Malevitch, la culture humaine (ou civilisation) s’est historiquement formée de trois éléments principaux, ou systèmes: civil, embrassant tous les instituts et relations sociaux, politiques, économiques; religieux et Artistique, ou comme Malevitch les a nommé aphoristiquement, de façon lapidaire et précise: Fabrique, Eglise, Art  4] . Le premier système ou sphère d’activité humaine, né initialement pour soutenir l’activité vitale de l’homme (souci du corps), a atteint à l’heure actuelle ensemble avec le développement de la science et de la technique sa perversion totale, accaparant et se soumettant la majorité de l’humanité et de son activité, y compris l’Art. Malevitch l’appelle en généralisant sarcastiquement sphère de la mangeaille: “plantation culturelle de la mangeaille”, “mangeaillelogie”, “mangeaille-enseignement”, “activité de classe gargotte-cuisinière”, “gargotiers” etc. Ce système de mangeaille a très tôt appris à utiliser l’Art pour décorer, farder son essence assez primitive et désagréable en faisant un moyen pour atteindre plus efficacement ses buts. L’idéal de cette sphère est complètement étranger à Malevitch: travaille comme un boeuf pour créer le paradis terrestre des besoins charnels. Cet idéal est le même chez capitalistes, socialistes, communistes, voilà pourquoi Malevitch qui se passionne pour la phraséologie communiste dans les premières années post-révolutionnaires, ainsi que plusieurs autres avant-gardistes, dans les années 20 déjà éprouve la même hostilité envers tous les gargotiers-matérialistes indépendamment de leur appartenance de classe ou de parti.

         Son attitude envers la religion et l’Eglise était plus compliquée. Dans ce domaine Malevitch ne possède pas de position claire et ses jugements et affirmations de différentes périodes oscillaient de presque vulgaires-mathérialistes-athées dans l’attitude envers l’Eglise et surtout son activité concrète jusqu’à la conception de Dieu presque apophatique-mystique. Au niveau du ratio et sous l’influence du matérialisme vulgaire et du positivisme règnant dans le milieu de l’intelligentia russe d’avant la révolution et des premières années post-révolutionnaires, l’emphase de l’édification révolutionnaire d’une nouvelle société technisée sans classes, Malevitch conçoit la religion dans les catégories matérialistes comme système né à la base de l’ignorance de plusieurs lois naturelles pour combler le vide du non-savoir et satisfaire la faim spirituelle de l’homme. Sous cet aspect l’Eglise appelle les hommes au travail, résignation, patience dans la vie terrestre pour atteindre un paradis céleste mythique après la mort. Pour cacher le vide non-fondé de cette conception, l’Eglise exploite activement et régulièrement l’Art, le forçant à décorer ce qui comme tel n’attirerait probablement pas les gens (voir: 266, 287). “Par les chasubles (les artistes) ont caché les prêtres et par les chasubles - d’autres leaders et ont trompé le peuple par la beauté, car la beauté a caché le visage de la réalité” (299). Sur ce plan Malevitch ne fait pratiquement pas de différence entre la religion et la science  orientée vers la connaissance graduelle du monde. On rapportait à la sphère de la religion ce que la science n’arrivait pas à connaître, et on exigeait d’y croire (267 et passim).

         D’autre part, l’expérience personnelle spirituelle et artistique irrationnelle a amené le craéateur du suprémaisme à une frontière spécifique de l’âme, au-delà de laquelle un gouffre d’essence réel irrationnel, le désert du non-être, du Néant, derrière lequel Quelque chose se sentait pourtant s’est ouvert à sa vue intérieure. Il respirait le terrible et l’effrayant, mais attirait irrésistiblement...    

         D’ici l’apophatique spécifique de Malevitch dans la conception de Dieu et dans son esthétique (voir ci-dessous), et en même temps l’attitude en général positive envers la religion comme phénomène spirituel déniant les soucis de mangeaille et par là apparenté à l’Art.

         Dans les meilleurs traditions de l’apophatique crétienne (il est douteux que Malevitch ait même entendu ce terme ou lu les Pères de l’église) il assure dans une révélation extatique que “le vrai Dieu”  “ne sait rien, ne voit rien et ne peut rien” (301). Ce n’est que la religion qui “atteint Dieu comme absolut (âme est Dieu)”. Les arts traditionnels se trouvent un peu plus bas; ils “ne sont que marches. Les catégories de l’art sont première marche après la religion,.. La technique est troisième marche, elle exprime le souci charnel rationnel,..

         De là je considère la religion comme degré supérieur de légèreté, (comme) état existant or la matière, où la matière disparait dans l’esprit, l’âme, l’image. C’est le dernier phénomène technique avant le non-figuratif” (263)  5] . Mais l’art n’est pas beaucoup plus bas que la religion et lui est pratiquement égal en quelque sens, car “rendre-artistique est la même chose que déifier, repeindre, consacrer” (265). L’Art lui-même serait né de la religion. La ligne de la religion se divise en deux. “Dieu est déjà quelque chose de beau”, c’est pourquoi la religion et l’Art se basent sur la “pureté” et la beauté. “L’Art peint la religion”, l’esthétique des rythmes et de la harmonie reigne dans la beauté de la cathédrale et de l’office divin (104).

         Le caractère éclectique général de la vision du monde de Malevitch a défini de nombreuses transformations de sa conception de cetains problèmes liés à l’art, faisant ressortir indirectement leur ambyvalence spécifique et réelle. Ainsi, en 1919, ayant à peine traversé la période tumultueuse de sa “révélation” suprématiste dans l’art et venant à la conception théorique du réalisé, il développe activement les idées de l’évolution, du progrès et même de la révolution dans l’art. Il se représente l’art comme la culture en général en évolution et mouvement permanents, ayant atteint à notre époque son étape révolutionnaire. Son essence est dans la libération de l’art des liens utilitaires avec la vie de la “mangeaille” et la religion; l’affirmation de son auto-valorisation, le remplacement de l’approche mimétique-représentative de la nature par des signes purs (voir: 208). “L’évolution dans l’art avance toujours, car tout bouge dans le monde, et ce n’est pas toujours que l’art est marqué par l’évolution, des révolutions arrivent.

         Le cubisme et le futurisme furent mouvement révolutionnaire dans l’art, précurseurs de la révolution de la vie économique et politique de 1917.

         Evolution et révolution dans l’art ont un seul but - atteindre la création intégrale - addition des signes au lieu de la répétition de la nature” (210). C’est Cézanne qui a entamé ce processus, le suprématisme en est le couronnement suprême.

         Mais déjà en 1924 dans son grand traité “L’Art” Malevitch vient à une autre conclusion déniant de fait toute évolution d’essence dans l’art. “L’Art existe en dehors du progrès culturel, n’a pas de temps et de développement historique” (277). Il n’y a aucune différence entre l’art de l’Egipte Ancien et l’art contemporain; l’art de l’homme primitif n’est en rien pire ou plus faible que l’art classique, car en ce qui conserne l’Art, l’homme primitif était égal à celui de nos jours (292). Il sentait la beauté et l’harmonie aussi bien que nous, mieux peut-être, et savait les incarner dans son art ornemental. Plus, l’art de l’homme primitif, d’après Malevitch, était pratiquement non utilitaire, non lié aux sphères de la “mangeaille” et religieuse. Ce n’est que plus tard qu’on s’est mis à utiliser l’art en tant que moyen, et ce n’est que chez les impressionnistes (Claude Monet, notamment), mais surtout chez Cezanne, dans le cubisme, futurisme, suprématisme qu’il a de nouveau atteint pratiquement un niveau absolument non utilitaire, proche du niveau de l’art primitif.

         Malevitch considérait la beauté non utilitaire auto-valorisée, née à la base de l’harmonie de tous les éléments souvent contrastants, noyeau stable et immuable, contenu de tout Art véritable (274). “L’Art est immobile, car il est parfait, l’Art n’a pas de but et ne doit pas en avoir, car il est absolu. C’est pourquoi l’art des nègres, chinois, européens et ainsi de suite peut être également perçu par tout le monde si l’on réussit à s’abstraire des ses “différences idéologiques” et viser la perceptipon de l’essence de l’Art proprement artistique, non utilitaire, c’est à dire “non figuratif”, donc esthétique en fin des comptes” (289). C’est l’Art “comme tel”, “l’ensemble de ses éléments formels” qui est “contenu” véritable de l’Art (285). Notamment, pour la peinture c’est la peinture elle-même - relations des mases et formes colorées, facture picturale, vie réelle et développement des taches de couleur, leur force “énergique” et dynamique; “pur élément pictural” etc. “La peinture est construction de la couleur en masse généralisée qui devient tissu pictural”; “la peinture est témoignage du sens de la couleur et expression grâce à la construction de cette dernière, de son contact avec le phénomène coloré”. Le peintre considère chaque objet comme “combinaison des couleurs non-figuratives ou écriture de couleurs”. “Un contact pur non-figuratif avec un Art pareil (donc vrai) produit chez le spectateur “des émotions agréables” (319). Tel est au fait le credo artistique-esthétique de Malevitch à la base duquel il en est venu au suprématisme. Comme nous le voyons, le terme non- figuratif, important et significatif pour lui, y figure assez régulièrement, c’est pourqoi il est important d’étudier son contenu plus attentivement.

         Malevitch l’utilisait dans plusieurs sens croisés découlant de ses idées philosophiques-esthétiques. “Le monde entier comme fait du jugement” est monde “des objets”, et “le monde comme fait or jugement” - non- figuratif (243). Dans ce cas le jugement chez Malevitch est identique à la conscience, réflexon, raison. Ainsi, le monde inconscient, le monde en dehors de la raison connaissante est monde non-figuratif. “Le travail propre de l’organnisme est travail or conscience et compte, sans image, non-figuratif” (254). Malevitch considère sceptiquement les possibilités de la raison et de la conscience, sentant très bien comme peintre leur restriction de principe; de là non-figuration chez lui devient pratiquement fondement ontologique de l’être. “Il est impossible d’avoir pleine conscience de l’objet, - constate-t-il sans appel sans se donner la peine de le prouver et interprétant à sa façon les idées des empiriocriticistes connus de l’époque, - car tout est non-figuratif tactil des interactions” (243).

         La science et la religion se basent, d’après lui, sur l’esprit de l’étape de la connaissance, sont restreintes dans leurs possibilités gnoséologiques. Sur ce plan c’est l’art qui les dépasse, étant “contraire aux deux premières étapes”. Il “dément la raison et reconnait le sentiment sans raison - intuition, inspiration, humeur...”  C’est pourquoi “l’artistisme” est résultat de “l’attitude non-figurative, (il existe) sans répondre pourquoi, au nom de quoi... Il connait le phénomène, connait la nature, leur caractère etc. dans l’option esthétique” (267). Ainsi, le monde dans son essence, d’après Malevitch, est non-figuratif, c’est à dire existe en dehors de la sphère de l’activité de la raison; ce n’est que l’art non utilitaire, basé sur des principes esthétiques (déraisonnables) et donc également fondamentalement non-figuratif qui est capable de le “connaître”. Avec cela le non-figuratif (=essence) de l’art est compris par le créateur du suprématisme comme étape suprême de l’activité raisonnable de l’homme. “L’artiste doit être en dehors de la raison, car il est (cette) fin où la raison termine son activité. Et ce n’est que le dernier sommet de l’activité raisonnable, après lequel nous entrons dans le non-figuratif ou l’abstrait, (sans relation) avec la sphère de la connaissance, le savoir de l’esthétique” (269).

         Le non-figuratif s’identifie à l’abstrus pour lequel se passionnaient les poètes futuristes russes, amis de Malevitch; à ce qui est derrière la raison. Malevitch lui-même lors du passage du cubofuturisme au suprématisme a créé quelque tableaux de “réalisme abstrus” exprimant l’hermétique en rapprochant exprès des choses incompatibles: superposant dans une représentation presque réaliste une vache sur un violon dans l’entourage des accessoires cubistes (“Vache et violon”. 1913); cathédrale, hareng, sabre, escalier - sur le visage d’un Anglais (“Un Anglais à Moscou”. 1914) etc. Malevitch écrivait en 1913 dans la lettre à son ami M.V.Matuchine: “Nous en sommes venus à dénier la raison, mais nous avons dénié la raison car une autre a germé en nous, qui par comparaison à la déniée peut être nommée abstrus, possédant également lois, construction et sens; ce n’est qu’en le connaissant que nos ouvrages seront fondés sur une vrai loi nouvelle, hermétique”  6] .

         Sous le non-figuratif Malevitch entend également la non-utilité de principe de l’art, surtout nouveau. Sur ce plan toute fonction utilitaire de l’artistisme devient “objet”. L’art est “dans son essence non-figuratif, sans image, en dehors des idées de but” (344), répète sans fatigue l’avant-gardiste et esthète russe. Il est non-figuratif, car “a fini de servir les leaders et les popes”, et voilà qu’ils le proclament “abstrait”, vont bientôt le bannir en tant qu’antipopulaire, prévoit prophétiqement Malevitch (300); alors que la base du non-figuratif - harmonie, ligne non-figurative de l’ornement primitif et paysan, combinaisons des taches de couleur égayant les sens etc. - est bien claire et accessible au peuple depuis toujours sans aucune science (289, 319, 333 et passim).

         “Les non-figuratifs (esthètes purs au fait) veulent libérer l’Art de tout ce qui n’est pas artistique, “construire le monde d’après le sentiment des perceptions agréables”; ils “contemplent le monde des phénomènes et son image se crée à l’intérieur du contemplateur - de là, si une nouvelle réalité naît, ce n’est qu’une réalité comme <monde en soi>” (333). Ils reconnaissent “l’Art comme tel <fondé sur le contact avec les phénomènes par le biais d’un des sens>” (334). L’art non-figuratif est “Art pur” (340); il contient obligatoirement “expression pure des sensations” et un certain “élément absolument stable” de l’Art (357)  7] grâce auquel l’Art possède une valeur éternelle au nom de laquelle il se conserve dans les musées. “...les choses artistiques sont non-figuratives, c’est à dire stables, constantes. Il semble à la société que l’artiste fait des choses inutiles; il s’avère que son objet inutile existe pendant des siècles, alors que les utiles - un seul jour” (358).

         Enfin, “le monde comme non-figuration” est conçu par Malevitch comme “un vide” et “un calme” en dehors du temps, de l’espace, des objets, des valeurs, du matériel, en tant que Zéro absolu et Néant. N’en témoigne qu’une “table de la loi” absolument pure, blanche du peintre muet ayant atteint la limite suprémaiste de l’être (288 et passim).

         Ainsi, Malevitch entendait sous le non-figuratif dans l’art son artistisme, sa valeur esthétique non liée à quelques autres fonctions inartistiques (passagès). Tout art authentique le possède, mais ce n’est que depuis l’époque des impressionnistes que les peintres ont compris qu’il est nécessaire et possible de libérer l’art de tout fatras inartistique (non pictural - pour la peinture). Monet, Cézanne, cubistes, futuristes, cubofuturistes russes sont jalons principaux sur la voie de cette libération, d’après Malevitch. Il fait un pas suivant et dernier - le suprématisme.

         Cela dit, le terme même, comme la majorité des noms des courants avant-gardistes (à la différence, disons, de l’impressionnisme ou du cubisme) ne reflète point l’essence du suprématisme. Dans la conception de Malevitch c’est au fait une caractéristique appréciative. Le suprématisme n’est qu’une étape suprême du développement de l’art sur la voie de la libération de tout ce qui est inartistique, du surgissement du non-figuratif comme essence de tout art. Dans ce sens Malevitch considérait l’art primitif ornemental  8]  comme suprématiste (ou du genre suprême - 289).

         Pour la première fois il a concrètement appliqué ce terme à un groupe important de ses tableaux (39 ou plus) représentant des abstractions géométriques, y compris le célèbre “Carré noir” sur fond blanc, “Croix noire” etc. montrés à l’exposition futuriste (Pétrograd) “Zéro-dix” en 1915, dont nous avons déjà parlé. C’est à des abstractions géométriques pareilles qu’a été attribué le nom de suprématisme, quoique Malevitch lui-même y rapporta plusieurs de ses oeuvres des années 20, contenant superficiellement certaines formes d’objets concrets, surtout des personnages humains, mais conservant “l’esprit suprématiste”. D’ailleurs les ouvrages théoriques plus avancés de Malevitrch ne donnent pas prétexte à la réduction du suprématisme (toutefois de Malevitch lui-même) aux abstractions géométriques uniquement, quoiqu’elles forment sûrement son noyeau, son essence et même (suprématisme noir et blanc et suprématisme blanc et blanc) rapprochent la peinture de la limite de son existence en général en tant qu’art, c’est à dire du zéro pictural au-delà duquel la peinture comme telle n’existe plus. Des courants multiples d’activité artistique renonçant au pinceau, couleurs, toile ont avancé sur cette voie dans la deuxième moitié du siècle. Plusieurs créateurs des courants de pointe dans l’art, artifacts contemporains estiment Malevitch leur prédécesseur et père spirituel.

         Ayant vite franchi dans son art suprématiste trois étapes principales - noire et blanche, colorée et blanche (blanc sur blanc) entre 1913 et 1918, Malevitch, comme il l’écrivait lui-même, tâchait de se rendre compte de l’essence de la voie et courant qu’il a inaugurés. On y voit la modification des accents et de la tonalité dans la conception de l’essence et des tâches du suprématisme: des manifestes extrémistes-épatants des oeuvres de 1920-23 à l’argumentation plus calme et profonde de 1927.

         Dans sa brochure “Suprématisme. 34 dessins” Malevitch définit trois périodes du développement du suprématisme relativement à trois carrés - noir, rouge et blanc - comme noire, colorée et blanche. “Les périodes étaient dénommées en fonction de la surface dans son développement. Le fondement de leur construction fut l’origine économique: traduire par une surface la force de la statique ou du calme dynamique visible” (232). Aspirant à la libération de l’art des éléments artistiques, par ses “périodes” noire et blanche Malevitch le “libère” de fait des éléments artistiques, le conduisant au-delà “du zéro” de la forme et de la couleur dans une dimension différente, pratiquement inartistique et inesthétique.

         “Il ne peut même pas être question de la peinture dans le suprématisme. La peinture est depuis longtemps survécue, le peintre lui-même est préjugé du passé”, - épate-t-il le public et ses collègues-peintres (236). “La construction des formes suprématistes d’ordre coloré n’est nullement liée à la nécessité esthétique de la couleur, ni de la forme ou personnage; même chose périodes noire et blanche (233). A cette étape il considère paramètres principaux du suprématisme “l’origine économique”, l’énergie de la couleur et de la forme, un cosmisme spécifique.

         Les échos des nombreuses théories des sciences naturelles (physiques, notamment), économiques, psychologiques et philosophiques de l’époque se fondent chez Malevitch dans une théorie d’art éclectique (nous aurions dit aujourd’hui postmoderne - quoique chez l’avant-gardiste principal!). Possédant en tant que peintre un fin flair pictural, il sent une énergétique différente (énergétique réelle) de n’importe quel objet, couleur, forme et tâche “travailler” avec eux, les organiser sur la surface de la toile à la base d’une “économie” extrême (à notre époque c’est le minimalisme qui développera cette tendance à sa façon). “L’économie” ressort chez Malevitch en tant que “cinquième mesure” ou cinquième dimension  9]  de l’art l’éconduisant non seulement de la surface de la toile, mais au-delà des limites de la Terre aidant à surmonter la force de l’attraction et plus - de notre espace à trois - quatre dimensions dans des dimensions spécifiques cosmiques-psychiques.

         Des constructions de signes suprématistes ayant remplacées, d’après Malevitch, les symboles de l’art traditionnel, se sont tout à coup transformées pour lui en “mondes vivants prêts à s’envoler dans l’espace” indépendants, pour y occuper leur place spécifique à côté des autres mondes cosmiques (233). Passionné par ces perspectives, Malevitch se met à construire des “suprémus” spatiaux - architectones et planites comme précurseurs des stations, appareils, demeures cosmiques futures etc. Ayant catégoriquement rejeté l’utilitarisme terrestre, sous l’influence des théories physiques-cosmiques de pointe il amène l’art, hélas, à un nouvel utilitarisme, cosmique cette fois. Mais cela arrivera un peu plus tard - au milieu des années 20 lors de son travail à Ginhuk. Mais en 1920 à Vitebsk Malevitch, tout en déniant de façon déclarative la peinture comme arrivée à zéro, essaie quand-même de saisir le sens des éléments suprématistes picturaux, réellement extrêmement économes.

         Son élément principal est le carré. Plus tard viendront les combinaisons des carrés, crois, ronds, rectangles, plus rarement - triangles, trapèses, ellipses. Le carré demeure pourtant base du suprématisme géométrique de Malevitch. C’est dans le carré qu’il voyait certains signes essentiels de l’être humain (carré noir - “signe de l’économie”; carré rouge “signal de la révolution”; blanc - “action pure”, “signe de pureté de la vie créatrice humaine” - 236), et des élans profonds vers le Néant comme indécrivable et indicible mais ressenti.

         Carré noir - signe d’économie, de la cinquième dimension de l’art... - “Dernière surface suprématiste sur la ligne des arts, peinture, couleur, esthétique ayant dépassé leur orbite” (98)... Ne souhaitant laisser dans l’art que son essence, le non-fuguratif, le purement artistique, il dépasse “leur orbite” en tâchant de comprendre douleureusement - Où. Ayant réduit au minimum objectivité, corporalité, représentation (image) en peinture, Malevitch ne laisse qu’un certain élément vide - le vide comme tel (noir ou blanc) comme signe-invitation d’y pénétrer infiniment - dans le Zéro, le Néant; ou bien - dans soi-même. Et ce n’est pas un hasard si, tout en étant éloigné du christianisme traditionnel, il ressent comme proche une des paroles les plus intéressantes de Christ. “Christ a tout compris en disant que le règne céleste est en nous” (296)  10] . Il ne faut chercher aucune valeur dans le monde extérieur, elle n’y est pas. Tout ce qu’il y a de bien est dans notre fort intérieur, et le suprématisme favorise la concentration de l’esprit contemplant ses propres profondeurs. Le carré noir est invitation à la méditation! Et voie! “...trois carrés signalent la voie” (236). Pourtant pour le sens commun c’est une voie trop difficile et même terrible, horrible, par le Néant au Néant. Et Malevitch recule dans son art du bord de l’abîme apophatique absolu vers le suprématisme coloré - plus simple, accessible, artistique-esthétique... L’organisation harmonieuse des constructions légères colorées planant à partir des formes géométriques entraîne l’esprit du contemplateur au-delà de l’atmosphère terrestre quotidienne vers des niveaux plus élevés de l’être spirituel-cosmique, mais ne le laisse pas tout seul avec le Néant transcendental...

         Malevitch a exposé “la philosophie du suprématisme” d’une façon plus posée et réfléchie en 1927 dans des notes qui ont longtemps été conservées à l’étranger, publiées d’abord par T.Andersen en 1978; il n’y a pas longtemps qu’elles ont vu le jour dans l’original russe (voir: Teoria, 348-362 et passim). Il y est constaté encore une fois que le suprématisme est étape suprême de l’Art dont l’essence est le non-figuratif conçu comme sensation et sentiment purs, en dehors de la participation de la raison. Ayant quitté le monde des images et représentation, l’Art s’est approché du désert rempli de “vagues de sensations sans objet” en tâchant de l’incarner dans des signes suprématistes (347-348).  

         D’après l’aveu de Malevitch, lui-même a été terrifié par l’abîme qui s’est ouvert, mais il y est entré pour libérer l’art de la pesanteur et le mener au sommet... Plongeant presque mystiquement-artistiquement dans le “désert” du Néant initial et omniconscient (au-delà du zéro de l’être), il a senti que l’essence n’a rien en commun avec les formes visibles du monde des objets - elle est complètement non-figurative, sans figure, sans image et ne peut être exprimée que par “la sensation pure”. Et “le suprématisme est ce système nouveau, non-figuratif de relation des éléments, par l’intermédiaire duquel s’expriment les sensations... Le suprématisme est cette fin et commencement où les sensations se dénudent, où l’Art comme tel devient non-figuratif” (Teoria, 350-351)  11] . Et si la vie elle-même et l’art figuratif ne contiennent que les “images des sensations”, l’art non-figuratif dont le suprématisme est le sommet, ne tâche de traduire que les “sensations pures” (355). Sur ce plan l’élément primaire du suprématisme - carré noir sur fond blanc - “est forme découlant de la sensation du désert du néant” (350).

         Le carré en général est devenu pour Malevitch élément permettant d’exprimer différentes sensations - du calme, dynamique, mystique, gothique etc. “J’ai obtenu l’élément permettant d’exprimer telles ou autres existences dans différentes sensations” (362).

         Malevitch ne donne certainement pas de formule précise de sa conception du terme “sensation”, car il ne fut ni psychologue, ni linguiste, ni philosophe. Il paraît qu’il s’agit chez lui de cette attitude, état psychologique que nous nommons aujourd’hui “émotion”, et les idées mêmes, comme nous l’avons déjà constaté, étaient influées par les options de E.Mach, quoique cette question, comme le problème de conception et compréhension de tous les termes principaux de Malevitch en général exige une étude spéciale. En font part, notamment, ensemble avec le non-figuratif et l’économie, dont en partie nous avons déjà parlé, les termes dispersion, élément de plus-value et autres. 

         La dispersion est chez Malevitch une notion eschatologique assez floue. D’après sa vision du monde, partant d’une union primitive idéale avec la nature et le cosmos, l’humanité, en créant civilisation, culture, technique, art, “se dispersait” dans la multitude de ses “acquisitions”. Chaque génie était porteur d’une “force” dispersant l’humanité, et voilà le XX siècle venu comme limite de “dispersion” - passage dans une nouvelle qualité. “La perfection du monde est dans la dispersion” et “cette dispersion fut” (369, 370). Nous (l’humanité) nous sommes “dispersés” “dans les signes mondiaux” et nous “incarnons” (nous nous dissolvons) dans l’univers le remplissant de nous-mêmes, c’est à dire avançons vers une fusion scientifique-physique avec le cosmos. Le suprématisme comme courant artistique et comme “art de création de la vie” joue, naturellement, un rôle très important dans ce processus. C’est le cubisme qui a commencé la “dispersion” dans l’art comme libération concrète de l’enveloppe matérielle visible du monde des objets (voir: Teoria, 216, 269); le suprématisme l’a amené à sa fin logique.

         Malevitch applique la notion d’élément de plus-value directement à la peinture, surtout actuelle. Il est évident que la notion même est suggérée par la théorie de la plus-value de Marx populaire à l’époque, quoique au fond n’y est nullement liée. L’élément de plus-value en peinture chez Malevitch est loi de création des structures caractérisant tel ou autre courant, c’est à dire principe prépondérant d’organisation d’une oeuvre d’art, de sa forme plastique dans le courant donné. La théorie d’”élément de plus-value” fut élaborée pendant les années de son travail à Guinhuk. En 1925 il a écrit un ouvrage spécial à ce sujet “Introduction à la théorie de l’élément de la plus-value en peinture”. Sur les tables préparées pour l’exposition de Berlin (1927) Malevitch montre en tant qu’”éléments de plus-value” pour l’impressionnisme - la lumière, pour le cézannisme  - une courbe fibreuse, pour le cubisme - une ligne en forme de faucille, pour le futurisme - le mouvement et pour le suprématisme - une ligne droite (Cat., 211). A chacun correspondait son système des “éléments de plus-value” colorés, qui également furent élaborés en profondeur par Malevitch et présentés sur ces tables. La théorie d’”élément de plus-value” s’est avérée un pas important sur la voie de l’analyse structurale des oeuvres d’art contemporaines; Malevitch l’a utilisé pratiquement dans son activité pédagogique.

         C’est le terme sans-visage qui occupe une place importante dans la théorie de Malevitch; il l’utilise habituellement dans un seul rang avec des termes comme non-figuratif et le sans-image; il signifie dans le sens le plus général le refus de l’art de représenter l’aspect physique de l’objet (et de la personne), ses formes visibles. Car l’aspect physique, le visage de l’homme n’étaient pour Malevitch qu’une coquille dure, un masque figé, cachant l’essence. De là le refus dans les oeuvres purement suprématistes de représenter des formes visibles (images=figures), et lors de “la deuxième période paysanne” (fin des années 20 - début des années 30) - une représentation conventionnelle-généralisée, chématisée des personnages (paysans) sans visages, avec des “visages vides”- taches blanches ou colorées au lieu des visages (sans-visage au sens direct). Il est évident que ces personnages “sans visage” expriment d’avantage peut-être “l’esprit du suprématisme”, que le suprématisme géométrique comme tel. Le sentiment du “désert du non-être”, de l’abîme du Néant, du vide métaphysique y est exprimé avec une force, dirait-on, aussi grande que dans les carrés “Noir” ou “Blanc”. Et la couleur (souvent franche, locale, joyeuse) ne fait que renforcer l’irréalité terrible de ces images. C’est dans ces “paysans” de 1928-1932 que l’apophatisme suprémaiste global résonne avec une force limite.

         Il est devenu presque lieu commun et bon ton dans la littérature scientifique de rappeler la phrase de la polémique de Benoist et de Malevitch sur le “Carré noir” en tant qu’”icône nue”. Les paysans “sans visages” du fondateur du suprématisme peuvent prétendre au titre d’icône suprmatiste dans une mesure plus considérable peut-être que le “Carré noir” si on entend par icône l’expression des bases essentielles (eïdétiques) de l’archétype. L’essence apophatique (inexprimable) de l’être provoquant chez l’athée l’horreur devant l’Abîme du non-être et le sentiment de sa misérabilité devant la grandeur du Néant, chez les existentialistes futurs - la peur d’une vie insensée, y sont exprimés avec laconisme et force limites. Mais ces images (ainsi que le suprématisme géométrique) aident un homme doué spirituellement et artistiquement à atteindre l’état de contemplation ou à plonger dans la méditation.

         Malevitch eut beaucoup de successeurs en Russie entre 1915 et 1920, mais avec le temps ils se sont tous détournés du suprématisme. Les chercheurs signalent son influence directe sur tout le constructivisme européen... C’est vrai et pas vrai. Malevitch était entouré d’imitateurs, mais aucun n’a pénétré dans le vrai esprit du suprématisme et n’a pu créer rien qui se rapproche essentiellement (et non pas extérieurement) de ses oeuvres. Cela conserne également le constructivisme. Les constructivistes ont emprunté et développé certaines trouvailles formelles de Malevitch sans comprendre ou rejettant résolument (comme Tatline) l’esprit même du suprématisme gnostique-hermétique dans son essence, en partie même intuitiviste-bouddhiste. D’ailleurs, Malevitch lui-même, comme esthète pur et partisan de l’art pur rejettait résolument le “matérialisme” et utilitarisme du constructivisme contemporain (Teoria, 250). C’est plutôt parmi les minimalistes de notre siècle qu’il faudrait chercher des successeurs plus conséquents du suprématisme de Malevitch.

         

 1]  V.Tatline, un des initiateurs et participants principaux de l’exposition, a compté les nouveaux tableaux de Malevitch dilettantes et a refusé d’exposer ses propres oeuvres “professionnelles” à côté de celles de Malevitch. On a réservé à Malevitch une salle spéciale où il a suspendu “Suprématisme de la peinture”. Tatline avec ses disciples (constructivistes futurs) a exposé dans les salles sous l’enseigne “Exposition des peintres professionnels” (voir: Gray C. Das grosse Experiment. Die russische Kunst. 1863-1922. M. DuMont Schauberg. Köln, 1974. S.188-190).

 2]  La plus grande partie de l’héritage théorique de Malevitch est publiée à l’étranger. Voir l’édition la plus complète: Malevitch K.S. Essays on Art. Vol.I-II. 1915-1933; Copenhagen, 1968; Malevitch K.S. The World as Non-Objectivity. Unpublishing Writings. 1922-25. V.III. Copenhagen, 1976; Malevitch K.S The Artist, Infinity, Suprematism. Unpublishing Writings 1913-33. Vol.IV. Copenhagen, 1978. En Russie également on s’est mis à publier ses ouvrages inédits. Voir: Casimir Malevitch. 1878-1935. (Catalog vistavki, Léningrad, Moskva, Amsterdam. 1988-1989). (Lors des citations - abréviation Cat.); Sarabianov D., Chatskih A. Casimir Malevitch. Givopis. Teoria. M., Iskustvo, 1993 (lors des citations - abréviation Teoria).

 

 3] Certains savants contemporains essaient d’analyser sérieusement aujourd’hui ce mélange pseudo-philosophique. Voir, notamment: Martinau E. Malevitch et la philosophie. Lausanne, 1977.

 4]  Malevitch C. Bog ne skinout. Iskoustvo, tserkov, fabrika. Vitebsk, 1922.

 5]  Nous verrons ci-dessous que la non-figuration chez Malevitch est base essentielle de l’Art démontrant indirectement la priorité de l’Art devant la religion dans le système (bien que souvent inconséquent et asystèmatique) du suprématiste russe.

6] Cité d’après: Kovtun E.F. Pout' Malevitcha // Cat. S.155.

 7]  Malevitch utilise ici ce terme pour nommer les suprématistes avant tout; à une certaine étape les peintres du cercle de Rodchenko se sont appelés “non-figuratifs”, et alors Malevitch l’a repoussé, adoptant le suprématisme (voir: Téoria, 131).

 8] A l’époque Kandinsky W. a appelé cet élément “élément du purement et éternellement artistique” (voir: Kandinsky Wassily. O douhovnom v iskoustve. New York, Mejdounarodnoye Literatournoye Sodroujestvo, 1967. S.82).

9] Pourtant il n’aurait nulle part expliqué ce qu’il avait en vue concrètement sous cet art “non-utilitaire” - simplement décoration ornementale des objets quotidiens par des hommes archaïques.

 10]  Comparons: Teoria, 351; Malevitch se rappelle le texte de l’Evangile: “Et le Règne Céleste est en nous” (17, 21), qui dans le christianisme est traditionnellement interprété comme Règne Céleste “est entre vous”, c’est à dire autrement que dans l’interprétation de Malevitch, comme nous nous en rendrons compte ci-dessous.

 11] Cette conception de Malevitch fait directement écho aux idées de E.Mach qui considérait que la tâche de la science était de décrire “les sensations” formant le monde.

Oeuvres principales: Kazimir Malewitsch. Sobranije soch. w pjati tomah. T. 1. Stat'i, manifesty, teoteticheskije sochinenija i drugije raboty. M., 1995; Kazimir Malewitsch. Statí, manifesty, zapisi i zametki  in: Sarabianow D., Shatskih A. Kazimir Malewitsch. Zhiwopis', teorija. M., 1993; Kasimir Malewitsch. Die gegenstandslose Welt. Mainz und Berlin, 1980.

                             (Traduction de N.Mankovskaia)